mardi, avril 16, 2024

MEGE-Paris

Mémoire de l'Electricité, du Gaz et de l'Eclairage public

HISTOIRE DE L’ÉCLAIRAGE PUBLIC À PARIS

La Préhistoire

En 1318 Philippe V Le Long fait placer une chandelle dans une lanterne de bois garnie de vessie de porc à la porte du tribunal du Châtelet « afin de déjouer les entreprises des malfaiteurs ».
A la fin du XIVe siècle un fanal à la Tour de Nesle indique aux mariniers l’entrée de Paris.
En 1524 et 1558, des arrêtés du Parlement demandent aux bourgeois d’installer à leurs frais des « flambeaux ardents » à leurs fenêtres. Mais cela n’est que très peu suivi d’effet.
Louis XIV confie au Sieur Abbé Laudati Caraffa la « concession » de proposer des porte-flambeaux et porte-lanternes à louage, en complément de l’éclairage insuffisant.
La police faisant respecter la réglementation plus rigoureuse instituée par le Lieutenant Général de Police Monsieur de la Reynie, le nombre de lanternes atteint 2736 pour éclairer 912 rues de Paris.
Lanterne à huile exposée à MEGE
En 1697, l’éclairage public passe à la charge de l’Etat moyennant redevance, et en 1729 il ya 5772 lanternes. Celles ci sont constituées de petits carreaux assemblés au plomb protégeant une chandelle dont il faut couper toutes les heures la mèche charbonnée.
 
En 1744 la lanterne à réverbère (lampe à huile et réflecteur argenté) est inventée, Mais il faut attendre 1766 pour que la lanterne de Monsieur Bourgeois de Chateaublanc soit retenue pour équiper les rues de Paris. Faute de trottoir, elles sont suspendues au dessus des rues ou accrochées à des potence tous les 50 mètres.
 
En 1788, l’huile de tripes est remplacé par de l’huile de colza, et ainsi la flamme est plus blanche … et moins nauséabonde. La lampe à réverbère est perfectionnée par l’adoption d’une cheminée en verre avec double courant d’air (lampe « Quinquet » du nom du pharmacien inventeur – ou plutôt plagieur du suisse Ami Argand), puis à partir de 1821, lampes « Vivien ». Il y a alors 12 761 « becs de lumière » qui éclairent la ville.
Lanterne à huile XVII ème siècle exposée à MEGE

La période gazière

Découverte du principe d’éclairage par le « gaz hydrogène » (hydrogène carboné) en 1791 par Philippe LEBON. De 1791 à 1829, diverses expérimentations de l’éclairage au gaz dans des sites privés de Paris
 
En 1829, premiers essais officiels d’éclairage public place du Carroussel, rue de Rivoli, places Vendôme et de l’Odéon, Palais Royal. Diverses petites usines de production sont installées à l’intérieur de Paris gérées par plusieurs compagnies (voir chapitre Gaz). 
 
Le remplacement de l’éclairage à huile par le gaz se poursuit ensuite ainsi :
 
Année Nombre de becs à GazNombre de becs à huile
1831 69 12 941
1839  6005 400 
1848 8 600  2 608
1852  13 733 
187020 766 971 lanternes à huile 
                                                                     
C’est en 1846 qu’une ordonnance définit des situations de monopole pour 6 sociétés. En 1855, alors que le préfet Haussmann était à la tête de l’administration parisienne, il organise la fusion des 6 sociétés gazières en concession unique à la « Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz ».
 
Les premiers essais d’éclairage public au gaz sont effectués à Paris en 1929, Place Vendôme, rue de Castiglione er rue de Rivoli. le gaz est acheminé de l’usine implantée dans Paris même, sous les trottoirs dans des conduites en bois!
La ville de Paris, désireuse que tout s’allume à peu près à la même heure, il y aura jusqu’à 1 500 allumeurs de lanternes, organisés par brigades. Ces allumeurs passeront aussi une partie de la journée à nettoyer les verres des lanternes qui s’encrassent vite à cause de ce gaz de houille. Les dernières lanternes à gaz de Paris seront déposées en  1962. la place de la Concorde par exemple sera éclairée au gaz jusqu’en 1946.
1817  à Paris le gaz était obtenu dans les manufactures (la Compagnie parisienne du gaz-2) qui regroupe en 1855 de nombreuses sociétés préexistantes, il était principalement utilisé pour l’éclairage des particuliers et des rues (Allumeur de réverbères-3) – Découverte de Philippe Lebon en 1767, après des expérimentations de distillation sur l’huile, la résine, le bois c’est la houille qui donne le meilleur résultat. Il met au point le thermo-lampe l’ancêtre du bec de gaz .
1811 – Première expérimentation d’éclairage à Paris avec Ryss Poncelet dans un passage près du Palais royal, mais le procédé thermo-lampe n’est pas au point. Le financier allemand WINDSOR renouvelle l’expérience passage des Panoramas au Palais Royal, sous les arcades de l’Odéon et dans le jardin du Luxembourg. Le préfet de la Seine Chabrol de Volvic décide d’installer un éclairage collectif dans un lieu public : hôpital St Louis. 
 
1840 – Invention des premiers luminaires électriques par un système à arc électrique entretenu dans une enceinte isolante entre deux électrodes – (Sir Humphry Davy-4). (Ce type d’éclairage-5) se développait à grands pas mais il restait à usage spécial essentiellement pour de grandes surfaces, chantiers, ateliers, rues.
 
1880 – Les installations de distribution à courant continu commencèrent à concurrencer les sociétés gazières pour l’éclairage des villes. (Des accidents graves provoqués par le gaz-6) comme des asphyxies, des intoxications et des incendies accélèrent les installations électriques dans les grands espaces en dynamisant les recherches dans les nouveaux systèmes d’éclairage
 
1879 – Thomas Alva Edison et sir Joseph Wilson Swan mettent au point la première ampoule électrique. Cette année Edison présente sa première lampe à incandescence à filament de carbone dans le vide, elle reste allumée 45 heures, c’est l’ancêtre de nos ampoules. 
(Eclairage mixte-7)
 
1856 – Un artiste souffleur de verre l’allemand GEISSLER découvre qu’un courant alternatif à haute tension en passant dans un tube en verre scellé renfermant de l’air à basse pression produit une lueur (Geissler-8).

L’arrivée de l’Electricité

 
En 1844, on essaya d’utiliser la lumière électrique pour l’éclairage public, et à cet effet, on fit quelques expériences place de la Concorde. Un unique foyer muni d’un réflecteur et situé à trois mètres au-dessus du sol, était alimenté par une forte batterie de piles. Ce premier essai coûta fort cher, eu égard aux résultats obtenus : il aveuglait, mais n’éclairait pas. Cependant, bien qu’il fût suivi de beaucoup d’autres, sur le Pont-Neuf, à l’Arc de Triomphe de l’Étoile, à la Porte Saint-Martin, un brillant avenir ne semblait pas être prédit à la lumière électrique.
 
Pendant vingt et un ans, on la considéra comme une illumination luxueuse qui ne pouvait figurer qu’à de rares intervalles, à titre de curiosité, pour donner plus d’éclat à certaines fêtes publiques.
 
Mais le 31 mai 1878, à neuf heures du soir, trente-deux globes de verre émaillé, placés entre les réverbères le long de l’avenue de l’Opéra, s’allumèrent instantanément et projetèrent autour d’eux une douce et brillante lumière blanche : les réverbères à gaz ressemblaient à des lampes fumeuses et les rues environnantes paraissaient plongées dans l’obscurité.
Le monde affluait sur l’avenue qui offrait ce nouveau spectacle de l’éclairage électrique. Depuis quelques mois déjà, la façade de l’Opéra avait été ainsi illuminée, mais on n’avait pu encore se rendre entièrement compte de l’effet produit sur un grand espace.
 
Des discussions sans nombre accueillirent aussitôt cette innovation. Les uns ne cessaient de la vanter ; d’autres la critiquaient de toutes les façons ; cette lumière était trop vive… blessait la vue… elle ferait peur aux chevaux !
La pratique eut bientôt raison de toutes ces accusations et on s’habitua vite à être si bien éclairé par une lumière qui ressemblait tant à celle du jour.
 
L’avenue de l’Opéra fut donc la première voie publique éclairée par l’électricité, mais elle ne resta pas longtemps la seule. Des candélabres se dressèrent successivement sur la place du Théâtre-Français, au Carrousel, à la Bastille, aux Halles centrales, etc.
 
Bientôt cependant des conflits s’élevèrent entre la Ville et la Compagnie Jablochkoff. Cette discorde provenait de ce que la Compagnie demandait 60 centimes par bougie et par heure, tandis que la Ville ne voulait donner que 30 centimes ; suivant son égoïste calcul, la bougie électrique valait 12 becs de gaz et le bec lui coûtait deux centimes et demi. Enfin, on consentit à allouer les 60 centimes demandés, mais simplement à titre provisoire, pour un an.
De 1879 à 1881, le bail se renouvela chaque année sans que la Compagnie pût obtenir une plus longue garantie. Enfin, découragée par cette continuelle opposition, elle retira son éclairage en 1882.
La lumière électrique quitta donc Paris pour aller faire le tour du monde, non pas en quatre-vingts jours, mais en six ans, puis elle nous revint. Aujourd’hui la conquête de notre capitale s’achève enfin ; elle est divisée en secteurs exploités par des compagnies différentes qui éclairent les avenues, les boulevards, les établissements publics ou privés, tels les gares, théâtres, cafés, restaurants, etc., et enfin, les particuliers, qui peuvent s’abonner comme au gaz.
 
A dater du 30 avril 1891, la Ville a accordé une concession de dix ans pendant lesquels elle a payé 57 centimes par heure et par lampe de 15 ampères et 40 centimes par lampe de 10 ampères. Cette concession a été renouvelée en 1901 pour la même période de temps. L’éclairage des boulevards représente une dépense annuelle de 348 000 francs au lieu de 121 000 francs, prix du gaz. Mais il faut remarquer que la lumière est au moins dix fois plus intense. Depuis 1897, la rive gauche est dotée d’un secteur et jouit enfin des bienfaits de la civilisation et… de l’éclairage électrique.
 
Au début, comme nous l’avons dit, les bougies Jablochkoff  n’avaient pas de rivales pour l’éclairage public, mais actuellement, depuis que l’on peut avoir des régulateurs à bon marché et d’intensité lumineuse variée, leur succès a pris fin ; nous ne croyons pas qu’il soit possible d’en retrouver même à titre d’exemplaire unique.
 
C’est pourquoi les lampes à arc règnent en maîtresses sur les boulevards et les grandes voies, dans les gares, sur le péristyle des théâtres, dans les usines et ateliers, là enfin où l’espace est assez grand pour que la vue ne soit pas blessée par son vif éclat.

La lampe à incandescence

 
Quant aux lampes à incandescence, groupées en lustres, en appliques, séparées ou réunies, elles éclairent et ornent l’intérieur des théâtres, des cafés, des restaurants, des magasins, et enfin des demeures particulières ; elles font chatoyer les étoffes, briller les bijoux de nouveaux feux, ressortir l’effet des bronzes et des dorures, et leur lumière n’altère aucune des nuances les plus délicates. Piquées au hasard de la fantaisie sur les bandes de fils souples imaginés par MM. Paz et Silva, elles se prêtent à tous les motifs de décoration possible.
 
Les parisiens peuvent en juger chaque année à l’exposition de l’Automobile-Club de France, au Grand Palais des Champs-Élysées. L’aspect féerique de la grande nef et l’illumination artistique des stands ont atteint, avec ce procédé, un degré de perfection auquel ne pouvaient pas prétendre les lourdes rampes à gaz et les anciens lampions graisseux.
Les perles lumineuses Weissmann ajoutent encore à cette splendeur par leurs girandoles lumineuses composées d’ampoules sphériques incandescentes sans conducteurs apparents. Attachées les unes aux autres par de fins crochets, comme les grains d’un chapelet, les perles Weissmann composent ainsi des guirlandes de feu, qui sont d’une suprême élégance dans une salle d’exposition ou dans un salon particulier.
 
Toutes ces fantaisies sont permises avec ces petites lampes si commodes, et avec quelques accumulateurs facilement transportables, on peut même se donner le luxe d’une voiture brillamment illuminée intérieurement et extérieurement : rien de plus facile encore que d’en orner la têtière des chevaux et les cocardes du cocher et du valet de pied !!
Les grands espaces eux même ne lui sont pas interdits et sa lumière, brillante et douce à la fois, illumine d’une manière fantastique les lacs glacés qui sont pendant l’hiver le rendez-vous des amateurs de patinage. Grâce à elle, les patineurs ne craignent plus l’obscurité et peuvent prolonger le soir leur sport favori.
 
Maintenant commence à se réaliser, pour certains quartiers, le progrès qui semblait un conte de fée il y a quinze ans à peine. Des stations centrales répandent dans Paris l’électricité à flots ; remplaçant avantageusement les tuyaux, les conduites de gaz, des fils parcourent les rues et font circuler de toutes parts le courant que chacun peut introduire chez soi ; il n’y a plus qu’à faire un geste pour que nos appartements s’illuminent instantanément ici, là, à notre volonté. Tous ces avantages,  on le pense bien, ne sont pas restés le privilège de Paris ; bien au contraire, avant que notre capitale eût rappelé l’électricité exilée des ses murs, une foule de villes, en France ou à l’étranger, de villages ignorés dans les montagnes, avaient su utiliser leurs cours d’eau pour se donner le luxe d’un éclairage que la Ville-Lumière même n’avait pu s’offrir. Aujourd’hui toutes les villes, grandes ou petites, étincellent et rivalisent de clarté.
 
Georges Dary
Extrait du livre « A travers l’Electricité » – Paru en 1906